Pourquoi fait-on le mal ? (suite de : « Si Dieu existe, pourquoi y a-t-il le mal« )
Etudiant, 20 ans
Nous avons vu que Dieu n’est pas l’auteur du mal qui existe dans le monde. Il est innocent. Mais faut-il en conclure alors qu’il est impuissant, incapable de s’opposer au mal, d’y faire barrage ? Ou en d’autres termes, pourquoi nous laisse-t-il commettre le mal, pourquoi laisse-t-il le mal se répandre dans le monde ?
Saint Augustin, un très grand chrétien qui a vécu entre le 4ème et le 5ème siècle va nous aider à avancer. Dans la Cité de Dieu, il écrit : « deux amours ont bâti deux cités, l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi et c’est la cité de Dieu ; ou l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu et c’est la cité du mal. ». Saint Augustin parle ici du mal de faute, celui qui découle de l’amour de soi et dont je peux être responsable. En d’autres termes, celui qui a une cause.
On distingue en effet deux sortes de maux. La mal de nature (ce sont tous les ratages de la nature : les raz-de-marée ; les tremblements de terre ; la mort subite d’un proche, etc.) et le mal de faute ou mal moral, qui est commis (le mal que je fais) ou subi (le mal qu’un autre me fait).
Commençons par le mal de nature. Si notre monde est « très bon » comme on le lit à la fin de la Genèse, il ne peut pas atteindre la Bonté même de Dieu. L’ouvrage de quelqu’un est toujours moins grand que celui qui le fait. Mais pourquoi Dieu a-t-il créé un monde imparfait dans lequel le mal peut arriver ? Saint Thomas répond à cette question de façon tout à fait étonnante : c’est pour mieux représenter la Bonté de Dieu. En effet, la multiplicité des biens, la présence d’êtres plus ou moins bons, nous permet d’avoir une palette de biens qui nous font mieux connaître ce qu’est le bien par excellence : Dieu lui-même. Nous faisons la même expérience avec les couleurs par exemple. Un peintre qui connaît beaucoup de variétés de bleus ou de jaunes, connaît mieux ce qu’est le bleu ou le jaune par excellence. Or, pour que cette diversité de biens soit réalisée, il faut que certains maux surviennent pour donner le jour à des biens plus grands : « Le feu ne brûlerait pas si l’air n’était pas détruit ; la vie du lion ne serait pas assurée si l’âne ne pouvait être tué ; et on ne ferait l’éloge ni de la justice qui punit, ni de la patience qui souffre, s’il n’y avait pas l’iniquité d’un persécuteur ». La présence d’un mal de nature, que Dieu permet, rend possible l’apparition d’un bien plus grand. Il n’est donc pas un mal absolu,mais un défaut en vue d’un bien plus grand. Voilà en bref la pensée de saint Thomas sur ce premier point.
Mais qu’en est-il du mal moral ? Celui que je commets ou que je subis ; et qui en fin de compte est le plus difficilement supportable.
Pour répondre à cette question, saint Thomas pose la question suivante : Dieu est-il cause de l’acte du péché ? Et il répond par l’affirmative. Sa réponse a de quoi dérouter… Mais pour comprendre cette affirmation, il faut se souvenir d’une chose : Dieu est créateur. Il est la cause de l’être. Or, l’action est de l’être. Dieu est donc cause de toute action. Prenons un exemple : lorsque je marche, je pose une action, je marche ; en revanche, si je me casse le genou, je pourrai continuer à marcher mais je marcherai mal. Or, pour mal marcher il faut marcher. Pour que je puisse boiter, il faut que je marche encore. Cet acte de marcher que j’accomplis vient aussi de Dieu, puisque Dieu est cause de tout mon être, y compris de mes actes. L’acte de marcher que je pose est donc posé à la fois totalement par Dieu (on dit en philosophie qu’il est cause première) et totalement par moi-même (on dit en philosophie que je suis cause seconde). Cependant, ni moi ni Dieu ne sommes cause du fait que je boite : c’est ma rotule abîmée (par ma chute en skate ou ma chute de cheval) qui en est la cause.
Il en va de même pour le péché. Dieu est la cause de mon action (le fait de marcher). En revanche, la déviation de mon acte, la déviation que je mets dans cet acte et que l’on appelle le péché vient exclusivement de ma liberté. L’acte mauvais est le seul fait de l’homme. Lorsque je commets le mal, je fais un trou (j’ajoute un néant) dans le bien moral que contenait mon action, à cause du choix que je fais de la détourner de son bien. Un choix qui consiste à s’aimer soi-même ou à aimer une créature plus que Dieu. C’est ce que dit saint Augustin : le péché est « une aversion de Dieu et une conversion à la créature ». J’ai placé dans une créature ou en moi-même tout le but de ma vie. Et en cela j’ai abîmé, détruit même parfois le bien que Dieu créait par mon action.
Mais pourquoi, alors que nous aimons Dieu, alors que nous connaissons l’expérience douloureuse du mal, commettons-nous encore des actes mauvais ?
C’est là le problème des origines, le problème de la grandeur et de la bassesse de l’homme, à qui Dieu a confié la liberté. Car quand je pose un acte mauvais, il me semble que je deviens en quelque sorte l’égal de Dieu, cause première, seul maître de mes actions. Je me fais Dieu, en quelque sorte : « et alors vous serez comme des dieux… » avait soufflé le serpent à Adam et Ève, pour qu’ils commettent le premier péché. Voilà ce qui attire l’homme, l’illusion de la puissance et d’une fausse liberté. Mais ce qui est produit, le mal, n’est que du néant, du rien. L’illusion à ce moment-là est totale. C’est le drame que saint Paul nous décrit dans son épître aux Romains : « Ce qui est bon, je le sais, n’habite pas en moi, c’est-à-dire dans ma chair : j’ai la volonté, mais non le pouvoir de faire le bien. Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas. Et si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais, c’est le péché qui habite en moi ». Par le péché que je commets je m’éloigne de Dieu et je ne suis plus capable de faire le bien. Je me coupe de ma source de bonheur : Dieu lui-même. Je fais mauvaise route. Lorsque je fais le bien, par contre, j’agis de concert avec Dieu et mon action surélevée par la grâce fait de moi une image vivante du Christ.
Je termine par la sentence de saint Paul aux Galates, qui résume parfaitement la beauté de cette collaboration humaine et divine dans l’œuvre du salut et l’amour individuel que Dieu nous porte pour notre bien : « si je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. Ce que je vis maintenant dans la chair, je le vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi ».