Il me semble que nos prières ne peuvent être exaucées si nous sommes en état de péché mortel, mais nos bonnes actions comme nos prières (comme le chapelet) sont-elles vaines pour autant ?
Etudiant, 18 ans
Vous avez de la chance : saint Thomas d’Aquin, le Docteur Commun de l’Eglise, a traité spécifiquement cette question dans sa Somme de Théologie (IIa IIae q. 83 art. 16). Sa réponse est tellement claire que je ne ferai pas mieux ; je vais donc tenter de vous la présenter.
Saint Thomas distingue deux aspects dans la prière du pécheur : le pécheur comme pécheur, et le pécheur comme homme. Lisons-le : « Deux choses sont à considérer chez le pécheur : la nature, que Dieu aime, et le péché, qu’il déteste. Si dans sa prière c’est le pécheur comme tel qui demande, c’est-à-dire en suivant son désir du péché, Dieu ne l’écoute pas, par miséricorde. Mais parfois aussi il est exaucé pour son châtiment, lorsque Dieu permet qu’il se précipite encore davantage dans le péché. » Il y a des choses que Dieu refuse par bonté, et qu’il accorde par colère « , dit S. Augustin. Mais quand le pécheur prie sous l’inspiration d’un bon désir de la nature, Dieu l’exauce, non par justice car le pécheur ne le mérite pas, mais par pure miséricorde ».
Ainsi, si on prie en état de péché mortel, notre prière n’est pas vaine pour autant. Comme le dit saint Augustin : « Si Dieu n’exauçait pas les pécheurs, c’est en vain que le publicain aurait demandé : « Seigneur, prends pitié du pécheur que je suis » ». Autrement dit, si Dieu n’écoutait pas prière du pécheur, il n’écouterait personne car nous sommes tous pécheurs.
Puisque vous parlez spécifiquement du péché mortel – c’est-à-dire le péché qui nous coupe de la grâce de Dieu, source de tout mérite – il me faut développer ce point. Une prière faite en état de péché mortel ne peut pas être, n’est jamais méritoire, au sens ou elle nous vaudrait en justice la réception de grâces de la part de Dieu. A ce sujet, saint Thomas explique : « Cette prière n’est pas méritoire, mais elle peut fort bien être exaucée, car le mérite est fondé en justice, mais l’impétration est fondée sur la grâce de Dieu ». Qu’est-ce à dire ? Le mérite de nos bonnes actions et de nos prières faites en état de grâce fonde une relation de justice entre Dieu et nous. Ces actions et ces prières nous vaudrons un surcroît de grâce sur terre, et un surcroît de gloire au Ciel. En revanche, quand un pécheur prie, Dieu n’est plus tenu de l’exaucer en vertu de cette relation de justice. Il peut cependant l’exaucer, par miséricorde. L’impétration (la demande) est fondée sur la grâce de Dieu : quand on demande, on fonde son espoir sur le fait que Dieu peut et veut nous exaucer.
Puisque dans cette situation notre prière n’est plus méritoire, saint Thomas donne quatre conditions nécessaires (mais non suffisantes) pour que Dieu exauce la prière d’un pécheur : « demander pour soi-même, les biens nécessaires au salut, avec piété et avec persévérance ». Par exemple, demander à Dieu de nous garder en vie et de nous permettre de nous confesser le plus vite possible est une prière que Dieu peut tout à fait vouloir exaucer, puisqu’il en résultera un grand bien spirituel pour nous.
Passons à des considérations plus pratiques. Si vous avez l’habitude de prier votre chapelet tous les jours, n’arrêtez pas si par malheur vous vous trouvez en état de péché mortel. D’abord pour ne pas en perdre l’habitude, mais aussi et surtout, offrez cette prière pour votre propre sanctification et votre confession prochaine. Evidemment, ne restez pas dans cet état et tâchez de trouver un prêtre dans les plus brefs délais. Cela ne vous empêche pas de faire un acte de contrition parfaite après votre faute pour retrouver l’état de grâce. Le péché, pour le démon, n’est rien de bien intéressant. Ce qu’il veut, plus que tout, c’est détruire notre relation à Dieu, par la perte de l’état de grâce, le désespoir de se sortir du péché, et l’arrêt de la prière.