Dieu nous aime-t-il plus comme un père, une mère, un frère, ou un époux ?
Lycéenne, 17 ans, Paris.
Ta question est profonde et oblige à ne pas se précipiter. Consciemment ou non, tu as vu que l’amour pouvait se dire de multiples façons, et qu’effectivement on n’aime pas son père, son fils, son conjoint, de la même manière. Qu’en est-il en Dieu, que l’on représente souvent comme un vieux barbu ?
Avant même de parler de l’amour de Dieu pour ses créatures, « Dieu est Amour (1 Jn 4, 8) ». Dieu en lui-même, n’est pas un Dieu solitaire, qui trône sur les nuages. C’est un Dieu trinitaire, un seul Dieu en trois Personnes. Dieu est donc une vie d’amour entre les Personnes divines. Le Père voit sa propre perfection, il s’aime, et cette image de sa propre perfection qu’il aime et qu’il admire, c’est le Fils. De son côté, le Fils aime infiniment la perfection du Père, et réciproquement. Cette relation mutuelle d’amour infini est tellement forte qu’elle se personnifie dans le Saint-Esprit, appelé aussi Esprit d’Amour. Les Pères de l’Eglise ont fait un parallèle magnifique entre l’amour presque conjugal du Père et du Fils, si fort qu’il en devient une autre Personne divine, et l’amour mutuel des époux qui se réalise dans la procréation.
Parlons à présent de l’amour de Dieu pour nous. Tout d’abord, il faut bien comprendre que ce n’est pas parce que nous sommes aimables que Dieu nous aime, mais bien l’inverse : c’est l’amour de Dieu pour nous qui nous rend aimables, car le premier acte d’amour infini de Dieu pour nous, c’est de nous avoir créés, de nous avoir fait sortir du néant. Dieu le Père est notre créateur, mais aussi notre but, notre fin. Nous venons de Dieu pour retourner à Dieu. Comme créateur, il a prévu notre but pour nous, comme un tailleur de pierre prévoit à quoi va servir la pièce qu’il sculpte. Cette fin, ce but, c’est la béatitude éternelle, autrement dit la contemplation et la vie en lui. C’est le but le plus grand qu’il ait pu nous donner, car largement au-dessus des capacités de notre pauvre nature humaine, mais c’est aussi la plus grande joie possible, dans la mesure où l’homme est fait pour l’amour, et pour l’amour infini, et que cette contemplation éternelle de l’Amour parfait nous comblera au-delà de l’imaginable. Comme un père, il nous aime et nous protège, « Comme un père a compassion de ses enfants, Yahweh a compassion de ceux qui le craignent (Ps 103, 13) ». On retrouve souvent cette idée dans la Bible : « Je t’ai gravé sur la paume de mes mains (Is 49, 16) », ou encore « Tu as du prix à mes yeux, tu as de la valeur, et moi je t’aime (Is 43, 4) ».
Dieu le Fils a voulu connaitre l’humanité de l’intérieur, évidemment, comme Dieu, il connait déjà tout de nous, car il nous a créé, mais par l’Incarnation, tout ce que Jésus à vécu, peut être dit aussi de Dieu. On peut donc affirmer que Dieu a souffert, qu’il a eu faim, soif, a été rejeté, est mort, etc. Tout cela dans le but de nous montrer jusqu’où il pouvait aller par amour pour nous. Jésus, comme notre frère aîné, nous a tant aimé qu’il n’a rien épargné de sa vie pour nous sauver, pour nous réconcilier avec le Père, dont nous nous étions éloignés après le Péché Originel.
Dieu le Saint-Esprit, nous l’avons dit, est le don d’amour mutuel entre le Père et le Fils, mais aussi Dieu en tant qu’il vit en nous chaque jour. Evidemment, toute la Trinité vient en notre âme depuis notre baptême, mais le travail doux et patient de Dieu dans notre cœur pour nous faire grandir dans l’amour est attribué au Saint-Esprit. Mais en syriaque, comme dans d’autres langues antiques et bibliques, le mot « esprit » qui désigne donc le Saint-Esprit est féminin, et se rendrait plutôt par le terme « spiration divine », au féminin aussi. En syriaque donc, il était fréquent d’entendre les chrétiens parler du Père, de la Mère et du Fils (ce qui causa la confusion du Coran entre le Saint Esprit et la Sainte Vierge, d’ailleurs). On retrouve dans la Bible un amour proprement maternel de Dieu pour nous : « Une femme oubliera-t-elle son nourrisson, n’aura-t-elle pas pitié du fruit de ses entrailles ? Quand même les mères oublieraient, moi, je ne t’oublierai point ! (Is 49, 15) ». Dieu nous aime donc plus qu’une mère aime son petit enfant. D’ailleurs, le terme même utilisé pour décrire dans la Bible l’amour de Dieu pour ses créatures, sa miséricorde, « rahamîm » en hébreu, comprend l’idée d’entrailles, de sein maternel. La miséricorde de Dieu pour les hommes est celle d’une mère aimante, qui protège son enfant et le fait grandir, et qui a une boule au ventre quand son enfant est en danger ou qu’il est triste. Plus même : le roi David affirme : « mon père et ma mère m’ont abandonné, mais Yahweh me recueillera (Ps 27, 10) ».
Mais Dieu nous aime aussi comme un époux aime son épouse. Un livre de la Bible, le Cantique des Cantiques, exprime très bien cela. C’est un poème ancien, un chant d’amour entre un homme et une femme, entre un bien-aimé et sa bien-aimée, qui n’a rien à envier aux plus belles histoires d’amour de la littérature, de Tristan et Iseult ou de Roméo et Juliette. Le texte ne nous donne pas le nom des époux de ce poème, car il s’applique à tout amour, et en particulier à l’amour de Dieu pour l’âme humaine. Lis-le, tu seras édifiée !
L’amour de Dieu pour nous est donc en même temps celui d’un père, d’une mère, d’un frère et d’un époux, autant que celui d’un artisan pour son œuvre. Il est une image de la vie intime et trinitaire de Dieu. Cet amour, selon tous ses aspects, est infini de la part de Dieu, mais fini et limité du côté de la créature à cause de sa nature même. Par exemple, on peut porter beaucoup d’affection à un arbre planté le jour de notre naissance, à notre fidèle chien, à notre mari, à notre mère, à Dieu. On voit bien ce que la nature de chacun peut avoir de limitatif dans la réception de cet amour. Et encore, cet exemple est inexact dans la mesure où nous-mêmes sommes limités dans notre capacité à aimer et à montrer cet amour. Pas Dieu. La « différence d’amour de Dieu » d’une personne à une autre dépend donc de la sainteté de chacun, en fait de l’acceptation de cet amour. Et le fait d’accepter cet amour, nous rend plus proches de Dieu, et provoque de sa part un surcroît de grâce et de dons. De même qu’on n’offre pas un ordinateur à un enfant de deux ans parce qu’il ne saura pas quoi en faire, Dieu procède avec pédagogie et nous donnes les marques de son amour petit à petit, pour ne pas nous effrayer, nous rendre orgueilleux, ou désespérés. On a dit que l’amour de Dieu pour nous est à la base de notre existence et de notre vie. D’une certaine manière, il nous a aimé éternellement, avant même de nous créer. Il nous appelle tous à la sainteté, à l’union à lui, et nous donne ses grâces comme il l’entend, selon notre bonne volonté, et notre désir d’union.
Pourtant, il aime infiniment le plus grand des pécheurs, au point qu’il a donné sa vie pour lui… C’est là que commence le mystère de l’amour de Dieu. Je ne prétends pas avoir fait le tour de la question, parce que toi comme moi ne pouvons que nous arrêter aux portes du mystère et de l’infini. Mais voilà ce que je peux dire à mon niveau pour répondre à ta question.